Méditation et caution du monde médical

Article paru dans Le Monde du 14 janv 2019 

Jean-Gérard Bloch, pionnier de la méditation thérapeutique

Créateur à Strasbourg du premier diplôme universitaire « médecine, méditation et neurosciences », ce rhumatologue milite pour que la pleine conscience soit exploitée médicalement.

« Connaître la nature humaine. » Telle était l’ambition du jeune Jean-Gérard en entamant ses études de médecine à l’université de Strasbourg, dans les années 1980. « A cette époque, je fus à la fois satisfait et déçu. Car, si l’enseignement était passionnant, il manquait une certaine unité dans le lien corps-esprit », reconnaît aujourd’hui le docteur Bloch, la voix grave et posée. Ce manque, il le comblera en partie avec la méditation. « Je l’ai étudiée et pratiquée pendant plus de vingt ans et, petit à petit, je l’ai intégrée dans ma profession. En constatant à quel point la méditation avait changé ma vie, ouvert non seulement l’esprit mais le cœur aussi, j’ai voulu en faire profiter mes patients et les professionnels de santé. » Ce spécialiste en rhumatologie décide alors de développer une approche de médecine intégrative à l’hôpital et à l’université de Strasbourg. Convaincu des bienfaits de la méditation thérapeutique, il crée en 2012 le premier diplôme universitaire (DU) « médecine, méditation et neurosciences » en France, avec le professeur Gilles Bertschy, psychiatre, et le soutien du professeur Jean Sibilia, doyen de la ­faculté de médecine de Strasbourg. Il doit pour cela braver obstacles et préjugés. Si certains collègues avaient froncé les sourcils à l’annonce de ce DU inédit, pour le professeur Sibilia, les réticences étaient essentiellement dues à « un manque de connaissance et de ­curiosité de la part de confrères qui ont une ­vision assez traditionnelle de la médecine ».Jean-Gérard Bloch tente alors de les rassurer en insistant sur le fondement scientifique et laïque de la méditation thérapeutique. Et, s’il a convié le dalaï-lama en 2016 à l’université de Strasbourg pour un dialogue avec des scientifiques, c’est parce que « c’est l’homme de savoir et de sciences que nous avons invité, pas le chef politique ni le guide spirituel », insiste le médecin, qui rappelle que le leader tibétain participe à des rencontres scientifiques dans le monde entier. « Le dalaï-lama reconnaît lui-même que la méditation peut être détachée de tout système de croyance, car c’est une exploration et une science interne de l’esprit », ajoute-il.

Corpus de preuves scientifiques

Côté science, les recherches, peu nombreuses et peu connues dans le milieu médical à l’époque en France, peinent à convaincre. Il s’appuie sur les travaux américains, plus en pointe : « La pratique que j’instruis est celle ­conçue par le ­programme MBSR (Mindfulness Based Stress ­Reduction), développée par le professeur de biologie moléculaire américain Jon Kabat-Zinn. Elle se prête bien aux études scientifiques. Elle est fondée à la fois sur les traditions méditatives et sur des connaissances scientifiques liées à la biologie et à la physiologie du stress, avec une pédagogie très élaborée. » Avec quarante minutes de pratique en moyenne par jour, la méditation MBSR se veut accessible à tous.

Les études cliniques se sont multipliées dans le monde de manière exponentielle ; passant de 143 publications en 2010 à près de 700 par an depuis 2016. Jon Kabat-Zinn, devenu l’ami de Jean-Gérard Bloch, se montre enthousiaste sur les résultats : « Il existe désormais un énorme corpus de preuves scientifiques suggérant que la méditation en général – et la pleine conscience en particulier – peut profondément influencer notre biologie par la neuroplasticité, les effets épigénétiques et le vieillissement cellulaire. » Avec ses recherches sur cerveau, méditation et vieillissement, ­Antoine Lutz, directeur de recherche à l’Inserm au centre de neurosciences de Lyon, intervenant pour le DU de Strasbourg, confirme ces pistes prometteuses. Biostatisticien, Bruno Falissard estime, quant à lui, que les études cliniques sur le sujet sont « aujourd’hui suffisamment bien faites pour ­reconnaître qu’il s’agit d’un soin psychothérapeutique avec des résultats convaincants ». Même le collectif #NoFakemed, opposé à ­l’homéopathie et à d’autres pratiques jugées non scientifiques, voit en la méditation MBSR « une bonne chose en soi, car elle a prouvé scientifiquement ses effets bénéfiques en complément de certains traitements », concède la docteure Violaine Tribou.

Pionnier en France, le docteur Bloch a finalement été rejoint par la communauté médicale, qui considère désormais la méditation MBSR comme un outil thérapeutique utile dans la gestion de la douleur et du stress, l’anxiété face aux examens complémentaires (prises de sang, scanners, IRM, radiothérapies…), voire pour diminuer la prise d’antalgiques ou de somnifères. Au sein du DU, le professeur Bertschy aborde, quant à lui, les preuves pour « les troubles de l’humeur, l’addiction, l’obésité, les problèmes cardiovasculaires… La méditation va permettre aussi aux patients d’avoir moins de rechutes de dépression, de symptômes d’angoisse et de fatigue. On va améliorer leur qualité de vie, et c’est important. »

Dans son cabinet, le docteur Bloch, pragmatique, constate les effets de la méditation sur les rhumatismes inflammatoires : « C’est un outil intéressant dans les pathologies comme le mal de dos, les tendinites, qui ont une composante importante liée au stress. La méditation MBSR a des effets nettement préventifs dans ces cas-là. Ceux qui la pratiquent régulièrement rapportent moins d’épisodes de douleurs et on observe un effet curatif dans de nombreux cas. »

Des soignés aux soignants volontaires

A sa grande surprise, le docteur Bloch relève aussi que la méditation a « complètement changé [sa] relation aux patients ! Cela m’a permis de me rapprocher d’eux, d’être plus présent et d’abandonner la posture de l’expert, sans pour autant abandonner l’expertise elle-même. On dialogue autrement, on est plus centré sur la relation. C’est une part fondamentale dans le soin, car les patients ont besoin d’être considérés dans leur entièreté, pas seulement qu’on ­répare tel ou tel organe dysfonctionnel. »

« De fil en aiguille, il a géré des petits groupes de patients, puis le succès venant sur le terrain, en voyant l’amélioration et l’engouement de ces derniers, on est passé des soignés aux soignants volontaires, et la spirale a pris », se souvient le professeur Sibilia, chef du service rhumatologie à l’hôpital de Strasbourg.

Aujourd’hui, le succès du DU à Strasbourg est tel qu’il refuse du monde. Cette année, 400 demandes ont été enregistrées, pour 60 places. Depuis deux ans, il fait même des émules en inspirant la création d’autres DU à Lyon, Nice, Toulouse et Montpellier. Un ­paysage encore timide, là où la plupart des grandes universités américaines ont déjà un département de recherche consacré à la ­méditation de pleine conscience.

L’engagement de Jean-Gérard Bloch en faveur de la méditation thérapeutique lui a récemment valu la reconnaissance de ses pairs, avec une nomination de professeur de médecine conventionné à l’université de Strasbourg. Mais il voit plus loin : « L’idéal serait d’installer la méditation de pleine conscience au quotidien pour tous, ou régulièrement dans sa vie. Car, à l’instar des activités sportives ou musicales, c’est dans la répétition que les transformations se font. » La méditation représenterait une hygiène de vie, mais également un enjeu de santé publique et une économie pour la Sécurité sociale qui mériterait l’attention des politiques de santé et d’éducation, selon lui. Rigoureux et stratège, le docteur Bloch a sensibilisé quelques députés en animant des groupes de méditation au sein de l’Assemblée nationale depuis 2017.

Né à Strasbourg, il se sent « un citoyen du monde », même s’il a construit toute sa vie de famille et sa carrière dans la ville. « Issu d’un milieu aisé, j’ai eu une éducation très ouverte, avec des parents très impliqués sur les démarches humanistes et associatives », confie-t-il, conscient d’avoir grandi « en bonne santé, dans un pays en paix, avec beaucoup de privilèges ».

Au fil des années, le praticien a fini par croire en la convergence des médecines. « Plutôt que de les exclure, je pense que l’avenir de la médecine est de pouvoir intégrer différentes approches. J’essaie à mon échelle de mettre en place des possibilités de dialogue et de fertilisation croisée », confie le quinquagénaire, méditant de nouveaux projets.

Sabah Rahmani

 

Sylvie Chabas

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